J’ai passé toute ma vie à New Lake. Je vivais avec ma mère et mon père qui me semblaient très heureux ensemble, mais il semblerait que les adultes aient ce don de faire comme si tout allait bien alors que tout allait mal. En réalité, ils ne s'aimaient plus vraiment et étaient ensemble seulement parce que j'étais là et ils ne voulaient pas que mon équilibre soit rompu. Mais cela n'avait pas duré très longtemps puisqu'ils ont divorcé lorsque j'avais une dizaine d'années. Bien évidemment, cela me rendait triste de ne plus vivre avec mes deux parents, mais je savais aussi que cela rendrait la situation moins inconfortable ; même si ils étaient ensemble pour mon équilibre, je voyais très bien que plus rien ne fonctionnait entre eux. Déjà petite, j'avais cette capacité de comprendre les choses rapidement alors que j'aurai du vivre dans l'insouciance la plus parfaite.

Mon père s'était installé à plusieurs centaines de kilomètres de notre maison et de ce fait, je ne le voyais que très peu. Je passais tout mon temps avec ma mère avec qui j'étais très complice. Elle était un peu comme une meilleure amie, une personne à qui je disais tout parce que je n'étais pas le genre de petite fille qui passait son temps avec d'autres enfants ; je n'y voyais pas grand intérêt alors que je m'intéressais déjà à d'autres choses qu'aux jouets. Je préférais lire, peindre, jouer de la musique plutôt que faire des jeux qui ne me donnaient pas satisfaction. Ma mère disait sans cesse que j'avais déjà une bonne trentaine d'années mentalement, mais cela me faisait plus rire qu'autre chose. Je savais très bien que je n'étais pas comme les autres et cela ne me dérangeait absolument pas.

Seulement, l'année de mes treize ans, ma mère est tombée malade. On ne s'y attendait pas vraiment. L'annonce de son cancer avait été comme un coup de massue sur nos têtes, une ombre noire sur nos vies presque parfaites. On ne pensait pas que tel malheur pouvait s'abattre sur nous, mais il fallait que l'on fasse avec, on avait pas tant le choix. Ma mère se battait contre la maladie. Je la voyais en pleine lutte, elle ne voulait pas paraître faible et jamais elle ne venait se plaindre de sa condition. Je la voyais morte de fatigue, épuisée, mais elle ne voulait pas l'admettre. Les traitements, les séances de chimiothérapie la rendaient encore plus faible, mais elle s'accrochait parce qu'elle ne voulait pas perdre cette bataille. Hélas, ces efforts n'avaient pas abouti puisque deux années plus tard, ma mère perdait la vie. Je n'avais que quinze ans et ce fut la pire période de mon existence.

Après cette perte, il a fallu que mon père revienne dans cette ville parce que je ne voulais pas être ailleurs. On ne s'était pas souvent vu et on ne savait plus trop comment on devait faire ensemble. On avait perdu nos habitudes, notre lien si précieux et je n'avais pas envie de faire des efforts après la disparition de ma mère. Je me sentais déjà bien assez mal et je n'étais pas en mesure de jouer à l'adulte responsable alors que je n'avais qu'une seule envie : fondre en larmes toute la journée et ne jamais quitter mon lit. Mais j'allais quand même de l'avant. Je me rendais en cours. Je faisais tout comme il le fallait afin qu'il n'ait jamais rien à redire de mon comportement ou de mes notes. Au fil des mois, les choses allaient beaucoup mieux avec mon père et on retrouvait notre complicité. Il m'aidait à surmonter la mort de ma mère et même si ils n'étaient plus ensemble, je savais qu'il l'avait beaucoup aimé et cette perte le faisait également souffrir. On se retrouvait dans la souffrance et à deux, nous avons réussi à passer au dessus.

C'est à cette époque que j'avais pris la décision que plus tard, je serai infirmière. Je ne me voyais pas faire autre chose. Je voulais à tout prix prendre soin des gens. Je voulais effacer les mois de souffrance que j'avais lu sur le visage de ma mère et je ne voulais pas que les autres subissent la même chose. Alors certes, je ne serai pas la fille aux miracles, celle qui guérirait tout, mais je voulais au moins faire en sorte que les souffrances soient moindres. Mon père me soutenait et cela me convenait très bien. Nous étions sur la même longueur d'ondes.

À partir de là, j'ai donc suivi la formation pour être infirmière après un concours. Ce n'était pas tous les jours facile, mais je m'en sortais plutôt bien entre tout cela ainsi que quelques relations amoureuses des plus chaotiques – après ma première grande histoire d’amour, j’avais du mal à passer à autre chose. Je n'ai jamais su ce qui n'allait pas chez moi, mais il semblerait que je ne sois pas faite pour les longues relations parfaites, elles se terminent toujours mal... Mais je faisais avec puisque ma formation passait avant le reste. Je m'accrochais tellement que j'ai réussi et jusqu'à maintenant, cela reste ma plus grande fierté.

Cela fait donc maintenant deux ans que je travaille à l’hôpital en tant qu'infirmière et j'adore ce job. Il n'est pas facile tous les jours, mais je m'accroche toujours autant parce que j'aime ce que je fais et cela représente vraiment toute ma vie. Je ne me vois pas autre chose et je m'épanouis complètement dans ce travail.