Elle n'a toujours pas décroché un mot ? Non, elle ne dit rien d'autre que des banalités. Quand même, ça fait un bon bout de temps qu'elle est rentrée ... Si ses parents pensaient être discrets, c'était raté. Jessica les entendait, faire leurs messes basses, depuis l'escalier. Tournant sa cuillère en l'air, elle préférait ne faire comme si de rien n'était, et continuer à fixer son bol de céréales. Était-ce si difficile de comprendre qu'elle n'avait pas envie de parler, et qu'ils auraient beau faire ce qu'ils veulent, elle ne dirait rien ? Elle était presque désolée pour Peter. Après tout, il n'avait rien demandé, lui. Ce n'était pas sa faute s'il s'était amouraché d'une mère célibataire sans le sou, et s'était retrouvé avec la femme à l'esprit torturé qu'elle était pour fille. Et puis lui, il ne lui avait pas tourné le dos. Sa mère, par contre, c'était une autre histoire. La brune était peut-être revenue à la maison en rampant, mais ça s'arrêtait là. Ce n'était certainement pas à elle qu'elle se confierait. Elle, elle l'avait traitée de sotte, lui disant qu'elle commettait une erreur en restant avec Danny. Pas question de lui donner la raison de son retour. Tout ce qu'elle devait savoir, c'est qu'elle restait pour de bon, cette fois, et qu'il ne serait plus jamais question de cet homme, jamais. Après, elle pouvait aller se faire voir pour savoir ce qui s'était passé. Ceci ne la regardait qu'elle, et elle seule. ... Essaie d'aller lui parler toi, elle t'écoute en général ... Je vous entends ! laissa alors échapper tout haut la jeune femme. Jessica ne se rendit compte qu'après qu'elle était en train de céder à son envie de leur dire tout haut ce qu'elle pensait de leur conspiration. Elle jeta un dernier coup d’œil à son bol de céréales, se maudissant intérieurement. Chérie, on se fait du souci pour toi, ta mère et moi, commença alors Peter, qui venait apparemment d'entrer dans la cuisine, puisqu'elle sentit sa main se poser sur son épaule. Elle se sentit touchée par tant d'attention de la part de cet homme qui n'était, du point de vue physiologique, pas son père, mais elle ne voulait pas. Papa, je t'assure que ça va, y'a rien à dire ... Elle se força à esquisser un sourire, espérant qu'il lâche l'affaire. Il savait qu'elle savait que ce n'était que partie remise pour lui, mais il ne faisait comme si de rien n'était. Jessica se leva de son tabouret, jetant le contenu de son bol dans la poubelle, avant de monter dans sa chambre, retenant l'envie de tempêter contre le monde entier qui venait de naître chez elle.

Étendue depuis quelques minutes sur son lit, elle réfléchissait. Elle avait réussi à se faire embaucher au journal de la ville, elle reprenait peu à peu ses petites habitudes, mais pourtant, cinq ans s'étaient écoulés. Jessica en avait raté des choses en cinq ans : bon nombres de soirées dansantes, de pyjamas parties, de barbecues ou autres festivités ... Et les habitants de Newton Lake ? Certains avaient emménagé, d'autres étaient partis ... Elle n'était que très peu sortie de la maison familiale, en dehors du boulot. Et elle allait exploser si elle restait ici une seconde de plus, entre ses parents qui réfléchissaient à un moyen de la faire parler ou ses frères et sœurs qui ne disaient rien, se contentant d'être sympas avec elle tout en lui jetant des regards étranges par moments. La maison avait beau être grande, elle se sentait étriquée, à l'étroit. Cette envie de hurler après tout le monde devenait de plus en plus difficile à contenir. De plus, elle savait que les nouvelles allaient vite, à Newton Lake. Son retour avait dû se faire savoir, et à part au journal, elle ne voyait personne. Si elle ne se dépêchait pas de se bouger un peu, elle allait passer pour la tarée qui se cloître chez ses parents. Ce qui était un peu la réalité, en fait. Jessica se décida de se lever de son lit, pour attraper un tee-shirt et un legging. Elle en avait marre de ne rien faire, elle allait profiter de ne pas travailler pour faire un jogging, puis rentrer prendre une douche. Après, tout irait mieux, elle se serait davantage en paix avec elle-même et n'aurait plus envie de tous leur arracher la tête. Oui, courir, se dépenser, c'était une bonne manière de se calmer.

Tu vas où comme ça ? Son départ en toute discrétion était loupé. Je vais courir, tu sais, dehors, dans la rue ... Merci, je sais encore ce que c'est que dehors ! Jessica ignora la mine agressive de sa mère, mettant ses écouteurs dans ses oreilles, pour ensuite activer le mode aléatoire de son ipod. Metallica ... Elle n'était pas une méga fan, mais au moins, c'était suffisamment vif pour l'aider à maintenir un rythme de course. Elle claqua la porte, sachant pertinemment que sa mère verrouillerait derrière elle, puis commença à parcourir la rue. Elle constata que depuis son départ, certains avaient repeint leur façade, d'autres avaient changé de voiture ... Elle n'avait pas réellement prêté attention à ce qu'était devenue Newton Lake depuis son retour. Elle ne s'y était pas réellement intéressée. Son objectif était de retrouver un semblant de vie normale, et surtout une vie tranquille. Jessica ne voulait plus se prendre la tête avec personne, juste aller au travail, discuter avec ses collègues, sortir danser le soir et recommencer le lendemain. Rien d'autre, ni plus ni moins. Surtout rien qui ne lui rappellerait la Floride. Elle n'avait rien contre cet État, mais c'était trop douloureux pour le moment. Panser ses blessures, voilà pourquoi elle était revenue à Newton Lake. Et contrairement à ce que l'on aurait pu penser, se confier ne faisait pas parti de ce qu'elle envisageait. Non, elle était venue ici pour oublier. C'était la seule solution, laisser le temps agir. Se concentrant sur ses foulées et les massifs de fleurs, elle mit plusieurs minutes à se rendre compte qu'elle était sur Victoria And Albert Street. Sa grande surprise fut d'apercevoir Skyler. Aux dernières nouvelles, elle vivait dans Magnolia Road, chez ses parents, tout comme elle. Skyler non plus, elle ne l'avait pas revue depuis toutes ces années. Elle avait dû probablement déménager, depuis le temps. Il n'y avait que Jessica pour revenir subitement vivre chez ses parents, ou plutôt se servir de leur foyer comme terrain d'asile, ayant pour seul objectif d'échapper à ses problèmes. Hey ! lança t-elle, retirant ses écouteurs de ses oreilles. Skyler était son amie, elles avaient grandi ensembles. La brune avait envie de savoir ce qu'elle devenait, ce qu'elle faisait, un peu tout quoi. Elle était alors de l'autre côté du trottoir, mais elle ne semblait pas l'avoir entendue, du moins elle ne réagissait pas. Conservant le même rythme, elle traversa la route. Hey ! s'exclama t-elle de nouveau, rattrapant celle qui avait été son amie durant toute son enfance et son adolescence. Elle ne se doutait absolument pas de ce qui allait lui tomber dessus ...

Enfin, elle la vit se retourner vers elle. Skyler. Celle-ci semblait pressée. Peut-être partait-elle travailler ? Au fond, elle ne savait plus grand chose d'elle, du moins quelque chose qui serait d'actualité. Les souvenirs les plus récents qu'elle conservait de la jeune femme remontaient au lycée. Les choses avaient changé, les gens ont évolué, forcément. Jessica… La journaliste esquissa un sourire, léger, mais sincère, réel. Elle était plus qu'heureuse de voir un visage familier. Je ne te dérange pas j'espère, t'avais l'air pressée ... L'art et la manière de parler pour ne rien dire, voilà ce qu'exerçait Jessica lorsqu'elle ne savait pas réellement quoi faire. Contrairement à ce que l'on racontait dans les films : les retrouvailles ne se passent pas toujours comme si les deux personnes ne s'étaient pas vues depuis deux jours. Du moins, c'était ainsi que la jeune femme le ressentait. Elle ne savait pas réellement quoi dire ou faire, comment agir. Elle avait évolué, elle n'était plus la même que celle qui avait quitté la ville il y a cinq ans, en soif de découverte, du moins si aller faire ses études dans l’État voisin était considéré comme une découverte, un dépaysement total. Ce n'était pas non plus le bout du monde. Et pourtant, elle avait l'impression d'être partie à l'autre bout de la planète. Jessica s'en fichait pas mal, jusqu'à ce qu'elle revienne à Newton Lake. Avant, elle pensait que cette vie-là était derrière elle, qu'elle ne remettrait jamais les pieds ici. C'était exactement le contraire qui se déroulait, et le pire dans l'histoire, c'était que c'était elle qui avait décidé de revenir. Et même si elle savait qu'elle était chez elle, qu'elle avait grandi dans cette ville, elle ne se sentait plus à sa place. Pourtant, c'était l'inverse : en tant que membre d'une des familles les plus riches et respectées de la ville, elle pouvait se payer le luxe de se volatiliser et de se repointer quand elle le désirait, elle serait toujours la bienvenue quand il lui semblerait bon de rentrer.

Comment vas-tu ? Enfin je demande ça par politesse vu que je n’ai pas réellement envie de te poser la question. La jeune femme tombait des nues. Elle s'attendait à tout sauf à ça. Cela ne correspondait ABSOLUMENT pas au souvenir qu'elle avait de Skyler. Leur amitié n'avait pas toujours été au beau fixe, mais quand même, cela ne lui ressemblait pas. C'était même le contraire de ce à quoi elle pensait avoir droit. Tu t'es levée du pied gauche ou quoi ?! fit-elle, avec une pointe d'énervement dans sa voix qu'elle n'avait pas soupçonné jusque-là. Elle se serait claqué la tête contre un mur si elle avait pu. Jessica avait le don pour aggraver les choses au lieu de les résoudre. Pas étonnant si elle en était là aujourd'hui, elle ne faisait que récolter ce qu'elle semait. Tu n’as pas pris la peine de me la poser pendant cinq ans dooonc… Elle commençait à reconnaître ce ton méprisant. Elle l'avait entendu de nombreuses fois dans sa vie, à chaque fois qu'elles avaient mené leurs petites guerres personnelles l'une contre l'autre. Étaient-elles donc revenues à ce stade ? Cela semblait tellement ... gamin, digne d'une cour de récréation. C'était compliqué ... lâcha t-elle, songeant un bref moment aux années passées. Sa famille, son boulot, Danny ... Elle préférait ne pas y penser. Et elle choisit de ne pas poursuivre sur cette voie-là, elle n'avait absolument pas envie de s'aventurer sur cette pente glissante. Pas question de lui raconter ses malheurs, déjà parce qu'elle n'en avait pas envie, mais aussi parce qu'elle ne semblait absolument pas ravie de la voir. Mais qu'est ce qui ne va pas chez toi ?! La question était sincère, mais prononcée sur le ton de la colère. Elle n'était pas parfaite, mais quand même. Skyler la connaissait, elle savait qu'elle n'était pas le genre de personne ponctuelle, ou qui s'enfermait dans une routine. Elle aurait dû faire quoi, lui envoyer un mail tous les quinze jours, avec des photos peut-être ? C'était tout sauf elle.

Elle attrapa le bras de son ex-amie, la fusillant du regard. Tu pourrais au moins me regarder quand je te parle ! Peut-être qu'elle avait rendez-vous quelque part, qu'elle était pressée ? Tant pis, elle ne la laisserait pas s'en tirer comme cela. Skyler ne pouvait pas la traiter comme un chien sans lui laisser un minimum d'explications. Le fait qu'elles n'avaient pas eu de contacts depuis cinq ans ne semblait pas être un motif suffisant pour la journaliste. Elle voulait comprendre, savoir ce qui faisait réagir son ancienne amie ainsi. Et elle avait aussi envie d'une cigarette, non, d'un paquet entier de cigarettes. Elle pensa au paquet de Lucky Strike sans filtre qui traînait sur sa coiffeuse. Jessica se maudit intérieurement de ne pas l'avoir emmené avec elle. En même temps, qui emmènerait son paquet de cigarettes pour aller courir ? C'était idiot. Puis, elle sut. C'était tellement évident. Elle aurait dû y penser plutôt, c'était ... c'était comme le nez au milieu du visage. Qu'est-ce que ma mère t'as dit ? Je ne répéterai pas ma question deux fois, Skyler, qu'est ce que ma mère a pu te dire ?! Cette fois-ci, elle était réellement furieuse, à deux doigts d'exploser. L'idée qu'elle était complètement paranoïaque ne lui traversa même pas l'esprit. Elle aurait une conversation avec cette mégère d'Alice en rentrant, c'était décidé.

Tu m’as abandonné Jess ... Ces mots, prononcés plusieurs dizaines de secondes auparavant par Skyler, ne cessaient de se répéter, en boucle et en boucle, dans la tête de Jessica. L'impact que pouvaient avoir les mots était tout simplement ... incroyable. Ce qu'elle avait dit était tellement juste, vrai. Ce qu'elle avait fait, c'est partir, sans jamais donner de nouvelles et en prendre, alors qu'elle savait. Elle savait que son amie avait des problèmes lorsqu'elle était partie. Pourtant, à l'époque, elle n'avait pas une seconde pensé à Skyler. Elle avait pensé à elle, à son envie d'aller vivre en Floride, pensant que les soucis que son amie rencontrait n'étaient que passagers, que l'on en faisait sans doute trop d'histoire pour pas grand chose. L'anorexie n'était alors qu'une passade de son amie, aux yeux de Jessica. Pour elle, il s'agissait juste d'une dernière lubie, elle n'avait pas vu la chose comme une réelle maladie. Elle ne s'était pas rendue compte que les choses étaient aussi graves, que son amie avait réellement des problèmes. Elle avait été tout simplement aveuglée par sa soif d'ambition, mettant tout le reste de côté. Si elle avait eu cette prise de conscience il y a cinq ans, elle ne serait peut-être pas partie aussi loin, ou du moins elle aurait essayé de maintenir de réels contacts, de revenir dans la région de temps en temps. Les choses qu'elle avait vécu n'avaient pas arrangé les choses, certes, mais dès le départ, il y avait eu un problème venant d'elle. Elle n'avait pas été capable d'être une amie digne de ce nom. Mais, elle ne pouvait pas dire qu'elle était désolée, cela ne résoudrait rien, non, rien de rien.

En gros, que tu t’étais barrée, mariée avec un type qui avait le double de ton âge, qu’il t’avait larguée et que tu revenais comme un toutou qui a fait une bêtise, la queue entre les jambes. Voilà contente ? La jeune femme n'ignorait pas que des choses devaient se raconter sur elle, depuis le temps. Elle était la fille Howard, l'une des familles les plus prestigieuses de la ville, bien que ne faisant pas partie des familles fondatrices. Elle savait aussi que sa mère faisait partie de pas mal de fondations, d'associations, et qu'elle devait certainement parler des ses enfants. Mais, Mrs Howard avait une certaine fierté. De toute façon, elle n'avait pas besoin de parler, les gens dans cette ville avaient une certaine tendance à colporter les ragots, elle n'était donc pas tellement étonnée. Surtout que tout cela était en parti vrai. Mais quand même, c'était exagéré. Danny n'avait que douze ans de plus qu'elle, bon sang ! Et elle ne s'était pas faite larguée, c'était elle qui était partie justement ! NE PARLE PAS DE LUI ! Cette phrase, prononcée avec fureur, était sortie de sa bouche sans prévenir. Elle ne voulait même pas ne serait-ce que penser à lui. C'était trop dur, elle ne pouvait pas. Le fait que Skyler l'ait mentionné faisait re-jahir tout ce qu'elle maintenait enfoui en elle depuis plusieurs mois. Elle ne dirait rien, il n'en était pas question. Aucun de vous n'y était, t'as aucune idée de ce qui s'est passé ! ajouta t-elle, pesant ses mots. Qui était-elle pour lui dire cela ? Elle ne savait strictement RIEN. Le peu d'informations qui lui étaient parvenues n'étaient pas exactes. Elle ne pouvait pas savoir. Personne ne pouvait savoir. La seule personne qui savait, dans cette ville, c'était elle. Même Peter ignorait ce qui l'avait fait rentrer. Et ils n'avaient pas à savoir. Ceci ne concernait qu'une seule personne : elle.

Tu sais quoi, Skyler ? Merde. Ok, je me suis plantée. Je me suis ROYALEMENT plantée, c'est clair. Mais t'as pas le droit de me juger alors que tu n'étais pas là. Sa voix s'était adoucie. Jessica commençait à culpabiliser pour s'être emportée. C'était elle qui avait commis une erreur dans l'histoire, dans leur histoire à toutes les deux.